Mesures anti-dumping à l'encontre de la Chine et du Vietnam par Peter Mandelson Commissaire européen au commerce

Si le mois prochain, comme je l'ai proposé, l'Union européenne institue des droits antidumping sur certaines importations de chaussures en cuir en provenance de Chine et du Vietnam, il est probable que la Commission européenne devra essuyer les critiques sur deux fronts : les fabricants européens, confrontés à une concurence extrême de la part de leurs homologues asiatiques, réclameront des droits de douane plus élevés et des mesures plus vastes, tandis que les importateurs et détaillants européens, qui profitent de la faiblesse des prix des chausures en cuir subventionnées importées de Chine ou du Vietnam, accuseront la Commission d'esayer de protéger l'industrie européenne et d'imposer des prix plus élevés aux consommateurs.

Bien que notre enquête ait porté sur des sociétés désignées par les pouvoirs publics chinois et vietnamiens eux-mêmes, elle a mis au jour des preuves irréfutables d'une intervention étatique déloyale et de l'octroi de subventions déguisées en Chine et au Vietnam. En plus d'avoir constaté des pratiques comptables laissant à désirer, la Commission dispose de preuves manifestes de l'octroi, aux producteurs, de prêts non commerciaux ou de subventions accordées par l'État, d'une mauvaise évaluation des actifs, de application de loyers fonciers non conformes aux prix du marché et d'abattements fiscaux importants.

Il est prouvé que cette intervention permet aux producteurs de chaussures en cuir chinois et vietnamiens de vendre leurs produits sur le marché européen en deçà de leur valeur réelle en Chine ou au Vietnam. Il s'agit de dumping et, conformément aux règles de l'OMC et à la réglementation communautaire, nous avons le droit et le devoir de les combattre lorsqu'elles nuisent à l'industrie communautaire.

Il apparaît que ce dumping pratiqué avec le soutien de l'État cause un préjudice grave à l'industrie communautaire. Depuis 2001, la production européenne de chaussures en cuir a régressé d'environ 30%, quelque 40 000 emplois ont été perdus dans le secteur et les prix des importations ont chuté de près de 30%.

La forte pression concurrentielle qui pèse sur les fabricants de chaussures européens n'est pas seulement due aux produits faisant l'objet d'un dumping. La Chine et le Vietnam possèdent des avantages naturels en termes de coût de la main-d'œuvre et de coûts de production. La Commission ne prétend pas qu'il y a concurrence déloyale car les salaires chinois et vietnamiens sont inférieurs à ceux pratiqués en Europe. La concurrence à ce niveau est rude, mais elle est loyale. Elle devient déloyale lorsque le jeu du marché est faussé et que des subventions déguisées sont octroyées librement. A un avantage légitime lié à la faiblesse de leurs coûts, les sociétés chinoises et vietnamiennes ajoutent une attitude contraire aux règles de la concurrence.

C'est la raison pour laquelle j'ai recommandé l'institution de droits provisoires compris entre 16 et 20% sur ces importations. J'ai pris l'initiative de proposer une introduction progressive de ces droits sur cinq mois, en partant d'un niveau de base de 4% en avril. Cette mesure vise à garantir que les détaillants ayant des marchandises en transit ne soient pas frappés soudainement d'un coût inattendu à l'arrivée de celles-ci à la frontière. Les importateurs peuvent planifier leurs opérations sur les six prochains mois avec un maximum de transparence et de prévisibilité. Il n'en reste pas moins qu'après six mois, le taux plein s'appliquera et que les effets dommageables du dumping seront contrecarrés.

Certains importateurs qui ont mis en garde contre de fortes hausses des prix pour les consommateurs ont critiqué cette manière de lutter contre des pratiques commerciales contraires aux règles de la concurrence. Bien que pleinement conscient de l'incidence indirecte que ces droits peuvent avoir sur la chaîne d'approvisionnement, j'estime que ces arguments ne sont pas fondés.

Comme elle est tenue de le faire, la Commission a examiné l'intérêt des consommateurs et celui des détaillants dans cette affaire. Nous avons exclu les chaussures de sport de haute technicité, qui ne sont plus fabriquées en quantités significatives en Europe. Nous avons aussi exclu les chaussures pour enfants, afin de veiller à ce que les hausses de prix ne frappent pas les familles les plus pauvres.

Cette affaire concerne environ 9% des paires de chaussures achetées en Europe, soit une petite partie de la gamme de produits. L'institution d'un droit ne ferait qu'augmenter d'un peu plus de 1,5€ un prix de gros moyen établi à 8,5 euros pour des chaussures qui sont vendues au détail entre 40 et 100 euros.

Par ailleurs, il apparaît clairement que si les prix à l'importation des chaussures en cuir ont baissé de pratiquement 30% dans l'UE ces cinq dernières années, les prix à la consommation sont restés stables ou ont augmenté.

Sur la base de ces constatations, je pense que la chaîne d'approvisionnement dispose d'une marge suffisante pour absorber un droit minime sur les coûts à l'importation en le répercutant sur les gammes de produits et la chaîne de distribution.

Instituer un droit sur des marchandises faisant l'objet d'un dumping ne revient pas à demander aux consommateurs de subventionner des producteurs européens non concurrentiels. Il s'agit de garantir des conditions de commerce équitables, ce qui est la seule manière de préserver une concurrence digne de sens à long terme.

Pour autant, l'institution d'un droit antidumping sera toujours considérée comme une mesure de protection. Je n'accepte cependant pas qu'intervenir pour limiter les effets préjudiciables d'un dumping soit perçu comme du protectionnisme. Le dumping reposant sur des subventions publiques considérables est contraire à toute notion de commerce équitable.

Le principe du « droit moindre » inscrit dans les règles européennes en matière d'antidumping garantit clairement qu'il est interdit de recourir à des mesures antidumping pour rendre des importations plus chères que le produit communautaire équivalent. Ces règles permettent de maintenir le prix du produit importé à un niveau nettement inférieur à celui de son équivalent européen. Ce n'est pas le cas des règles en vigueur en Inde, aux États-Unis et en Chine.

Les mesures antidumping ne prendront pas la forme de restrictions quantitatives ou de contingents d'importation. Nous ne fermons pas la porte aux marchandises chinoises et vietnamiennes exportées en respectant les règles de la concurrence. Bien au contraire, elle leur reste grande ouverte. Même en tenant compte de cette affaire, la part des échanges entre l'UE et la Chine concernée par des enquêtes ou mesures antidumping est inférieure à 2%.

L'Europe est décidée à renforcer ses échanges commerciaux et les flux d'investissement bilatéraux avec la Chine et le Vietnam. Il n'y aura pas de plus belle récompense pour-la politique commerciale communautaire au cours des prochaines années que de voir ces relations se développer de manière harmonieuse. Mais il faut insister sur le respect des règles de la concurrence.

L'Europe doit respecter les avantages naturels de ces économies asiatiques et s'y adapter, en orientant sa production vers des secteurs et des produits dans lesquels ses compétences et technologies lui confèrent un avantage. C'est ainsi que le commerce fonctionne, et c'est ainsi que les économies européennes se sont développées au cours des siècles.
Les mesures antidumping européennes visent les pratiques commerciales déloyales, pas les avantages dont l'Asie bénéficie naturellement. Les seuls contrepoids durables à ces avantages naturels sont la créativité, l'innovation et le dynamisme dont les sociétés communautaires savent faire preuve.


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Mis à jour le 11/10/2016 pratclif.com